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MAX :  Et puis il y a la Boutillerie. Une ferme que quatre familles, dont la mienne, ont rachetée ensemble dans le Nord. Pas un havre idyllique, mais un lieu possible. Une tentative de vie collective, dans un monde qui valorise la propriété et l’autonomie individuelle. On a cherché, on a essuyé des refus, on a inventé des outils. On vit en habitat provisoire, on rénove, on s’accorde, on se rate parfois. On a fait des stages de sociocratie. On parle beaucoup. On apprend à vivre ensemble.

La boutillerie

Il y a trois ans, j'ai accroché de nouvelles clés sur mon porte-clés, avec un sentiment d'immensité. Aujourd'hui, chacun de mes tours de clés sont encore marqués d'une sensation de magie, est-ce que cela va durer ?
Je n'habite pas encore cette ferme, je suis peu dans le tourbillon de vie qui y règne.

Ce pas de côté m'offre à voir, ce qui s'écroule, ce qui se construit… ce qui se questionne et se solutionne… les accélérations et les ralentis qui s'équilibrent… côté brique, côté humain.
Et dans trois ans, quand la magie aura peut-être quitté mes tours de clés, je tenterai de me souvenir de cette période où je vivais à côté, et où je voyais très clairement la vie bouger. Nos petites vies, immenses.
Charlotte

Introduction

 

Ce projet est profondément ancré dans nos vies.

L’idée pour nous est de poursuivre sur les registres de l’autofiction et du documentaire, en allant explorer d’autres zones de frictions.

Nous voulons continuer à tricoter le vrai et le faux, le personnel et le politique, la parole intime.

Il sera question de football (le match France-Allemagne de 1982), d’une lutte locale contre l’implantation d’une prison, d’un héritage agricole, de coopératives de paysans, d’habitat groupé, de prises de parole et de silences.

Il y est surtout question de collectif — non comme concept abstrait, mais comme réalité concrète, vivante, traversée de tensions et d’espoirs.

 

Deux axes guident notre recherche :

  • le collectif comme enjeu politique, poétique et intime,

  • l’agriculture comme miroir de nos tensions contemporaines — entre indépendance et solidarité, entre transmission et rupture, entre racines et invention.

 

Ce nouveau projet part d’une question toute simple, presque banale : quand est-ce que ça commence ?

Quand commence une création ? Quand naît une idée collective ? Quand s’invente un “nous” ?

Le spectacle se construit autour de cette interrogation du commencement, à la fois dans le processus de création lui-même — que nous assumons visible, en cours, fragmentaire — et dans les récits que nous convoquons.

Le collectif :
un territoire à explorer

À la compagnie Gravitation, nous aimons le collectif.

Il traverse nos spectacles, parfois sur le ton de l’ironie (M. Kropps, Label Vie), parfois avec tendresse.

 

Cette fois, nous voulons l’aborder plus frontalement, sans détour, sans sarcasme.

Qu’est-ce que cela signifie, concrètement, de penser et d’agir ensemble ?

Comment dépasse-t-on les intérêts individuels pour construire quelque chose de commun ?

Que faut-il renoncer à être pour appartenir à un “nous” ?

 

Nous allons chercher, dans des histoires réelles, celles qui racontent les conditions d’une réussite collective.

Des lieux où les compromis, les outils de gouvernance partagée, les apprentissages de la parole et de l’écoute permettent aux groupes de tenir ensemble.

Se mettre ensemble c’est parfois une épreuve. Mais c’est surtout un exercice riche en déplacements, en ouvertures et en possibilités.

Fonctionner en collectif c’est aussi une façon de trouver d’autres puissances.

Dans notre histoire, nous nous intéresserons plus particulièrement aux collectifs agricoles, nouveaux et plus anciens, comme les fruitières à comté.

Un spectacle en mouvement

Et si notre spectacle racontait un voyage ?

Dans un camion.

Sur une route entre deux dates.

Max au volant. Jean-Charles sur le siège passager.

On parle, on se donne des nouvelles.

On imagine une future création.

On sillonne la France, une France rebelle de pancartes retournées.

Dans le camion la radio crache des nouvelles.

On va à la rencontre de paysans, d’habitants, de collectifs, d’utopies fragiles. On s’arrête dans des fermes, dans des lieux culturels, dans des cuisines. Et on fait notre miel.

Tout se mêle.

 

On pétrit ensemble nos histoires intimes, et les histoires des autres, ceux que l’on rencontre, des histoires de territoires, des récits collectifs.

​

Premières pistes : Lens, un football populaire

MAX : Moi, j’ai toujours un vieux fantasme de spectacle autour du foot.

Le foot comme une scène où s’écrivent les émotions partagées. Un terrain de projection, un miroir du politique, une mémoire commune. Quand j’ai déménagé dans le nord, je suis assez vite venu voir un match au stade Bollaert à Lens.

Pour y arriver, tu traverses toute la ville d’est en ouest.

A Lens, il y a plus de places assises à Bollaert que d’habitants. Et puis il y a la chanson de Bachelet, les corons.

Jean-Charles : Max, on va pas faire un spectacle sur des prolos qui regardent des milliardaires en short jouer à la balle !

 

Max : On est dans le camion avec JC. On fait des centaines de kilomètres à deux dans le camion. Et c’est là qu’on parle de nos envies pour le spectacle d’après. C’est là que ça commence en fait. Et quand il y a un malaise comme ça, j’allume la radio. C’est pratique la radio…

Je vous assure, quand je me mets à chanter avec tout le stade d’un seul coup je fais partie des quarante milles.

Moi, je suis pas très caméléon. Il y en a, ils vont à Marseille une semaine, ils prennent l’accent. C’est pas mon cas. Par contre, à Lens, dès que je me suis mis à chanter, je peux vous dire que mes grands-parents c’était des mineurs comme tous les supporteurs autour de moi… Alors qu’ils étaient tous paysans dans le Jura, ils n’avaient jamais mis les pieds dans le Pas de Calais.

Qu’est ce qui fait qu’on appartient à un endroit ? qu’on s’enracine quelque part ? C’est mystérieux.

 

On a toujours envie de parler de ça dans nos spectacles.

A la fin de la chanson, on se regarde tous, on est heureux. Je suis d’ici. J’ai envie de serrer mes voisins dans mes bras. Pourtant ils ne me ressemblent pas.

Un match mythique

Max :

Et puis il y a ce match France-Allemagne de 1982. J’ai huit ans. C’est la première fois que j’ai le droit de veiller aussi tard devant la télé. Et la première fois que je ressens une tristesse aussi brutale. Une défaite injuste. Cruelle. Inoubliable. Je ne comprends pas encore tout, mais je sens que quelque chose d’important vient de se jouer — et de se perdre.

Ce souvenir est resté ancré. Et j’ai toujours pensé que ce match pouvait être un bon prétexte pour raconter la petite et la grande histoire. La mienne, minuscule, d’un enfant face à sa première désillusion. Et celle, collective, d’un pays qui vacille entre gloire attendue et chute brutale.

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Pendant ce temps-là, sur les routes qu’on emprunte, les luttes paysannes émaillent nos trajets. Des tracteurs bloquent les

Sur la route

les nationales. Des villages retournent leurs pancartes. Ici on marche sur la tête, "ici, quelque chose est cassé".

JEAN-CHARLES : Moi, je préfère partir sur une autre histoire : l’affaire Botton, survenue à Saint-Julien, le chef-lieu du canton où vivait le père de Max. Jean-Marie Botton, homme d’affaires lyonnais, gendre de Michel Noir, ancien maire de Lyon, a fait de la prison dans les années 90 pour corruption. Il revient des années plus tard avec un projet de prison "modèle", plus humaine, à implanter à Saint-Julien.

Le projet, soutenu par la préfecture et les élus, est présenté comme une chance pour le territoire. Mais très vite, une partie des habitants se soulève. Un collectif se forme. Le débat devient explosif. Les lignes politiques se brouillent. Les tensions sont vives. Et surtout : les silences.

Max :

Je redescends dans le Jura avec Christelle.

Elle est venue décrocher une expo dans le Nord, ça tombe bien, je monte dans son camion. 600 kilomètres, on a le temps de causer comme rarement.

Je sais que c’est la dernière fois que je vais voir mon père vivant. Il n’a plus que quelques jours devant lui. Cette fois, je descends clairement pour lui dire au revoir.

Alors on parle de ça. Le sien est mort dans l’année. C’est devenu d’actualité pour notre génération.

Puis on cause de la suite. Qu’est-ce que mes sœurs et moi, on va faire de cette maison, de cette ferme ? On n’en sait rien. Pour l’instant, on repousse le sujet pour ne pas paniquer.

La discussion dérive sur nos boulots. Son expo, ses créations du moment. Et moi ?

Je lui dis que Jean Charles, mon comparse, est branché pour qu’on traite du collectif. Il dit qu’on a besoin d’histoires qui nous fassent y croire, qui mettent « du vent dans les voiles ». Il me propose qu’on continue sur l’autobiographie et qu’on se débrouille pour aller vers le collectif. Et évidemment, un jour il a la révélation, il m’appelle très enthousiaste « Max, pas besoin de chercher bien loin, on va monter un spectacle sur ton habitat groupé ! ».

Ah oui effectivement, c’est évident. Mais je suis tout debout sur les freins. Je le sens moyen. J’aime bien la porte ouverte entre ma vie privée et ce que je fabrique sur scène mais là j’ai peur.

Là c’est toutes les portes et les fenêtres. J’ai peur que le spectacle influence ma vie, que cela crée des tensions entre nous, dans l’habitat.

Alors je freine. Jean Charles revient à la charge. Je refreine. Me vient l’image de la dentelle pour lui expliquer la nature de nos relations.

Le théâtre se nourrit de tension

Huit adultes essayant de vivre ensemble, c’est fin.

J’ai très peur du syndrome de l’éléphant dans le magasin de porcelaine. On passe beaucoup de temps au téléphone, mais ma frilosité ne veut décidément pas me lâcher.

La ferme de ton père.

C’est Christelle qui m’a interrompu. Sans s’exclamer mais avec cette intention de l’évidence.

« La ferme de ton père. C’est ça le sujet. Elle est trop grande cette maison, vous ne savez pas quoi en faire. Vous cherchez un collectif de paysans pour reprendre la ferme de ton père. C’est peut-être ça votre sujet. La recherche de ce collectif »

Tout nait pas fini

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MAX : C’est Jean-Charles qui propose un jour de faire un détour. De regarder ailleurs. Vers d'autres formes de collectif. 

 

JEAN-CHARLES : Je me dis : si Max ne peut pas encore parler de la Boutillerie, peut-être qu’un décalage serait salutaire.

Je crois que parler d’expériences coopératives en milieu rural permettrait de tisser un lien entre deux mondes : celui de la Boutillerie aujourd’hui, et celui de Bernard, son père, hier.

Ce déplacement devient un outil dramaturgique : ne pas dire de front, mais chercher des résonances.

 

MAX : Nous commençons à rencontrer des collectifs agricoles.

Pas forcément pour trouver des modèles, mais pour observer comment d’autres s’organisent, partagent, décident.

Ces visites nous déplacent, nous interrogent.

 

JEAN-CHARLES : Et puis il y a une rencontre qui marque un tournant : celle de la ferme de Sainte-Luce, en Isère.

 

Là où ailleurs les fermes deviennent de plus en plus grandes, avec toujours moins de personnes qui y travaillent, ici, sur un petit bout de terrain de 120 hectares, vivent 22 personnes. Là où l’agriculture s’industrialise et se spécialise à marche forcée, ici s’expérimentent d’autres modèles : circuits courts, diversification, autogestion.

Le collectif y est assumé, structuré, traversé de tensions qui, au lieu de créer des ruptures, stimulent l’inventivité.

Pour tenir ensemble, il faut réajuster sans cesse : inventer des outils, répartir les rôles autrement, faire avec les désaccords.

MAX : Je vois comment ils s’ajustent, comment ils réinventent leurs manières de faire.

Je vois le soin, l’écoute, la souplesse active qu’il faut pour que ça tienne.

Et je me dis : c’est peut-être ça, la force du collectif.

Pas une forme figée. 

Une dynamique. 

Une intelligence en mouvement. Pour moi, cette expérience agit comme un miroir. 

Elle fait résonner ma propre vie à la Boutillerie.

Dans ces résonances, un dialogue se tisse, silencieux

 

mais tenace, entre la ferme où je vis aujourd’hui, et celle que j’ai héritée. Elle fait résonner ma propre vie à la Boutillerie.

Dans ces résonances, un dialogue se tisse, silencieux mais tenace, entre la ferme où je vis aujourd’hui, et celle que j’ai héritée.

Entre Sainte-Luce et le Jura.

Je repense aux néo-paysans que nous rencontrons, souvent venus d’autres horizons, qui expérimentent de nouvelles manières de vivre et de produire.

Et en face, aux paysans dits “natifs”, attachés à leur autonomie, parfois plus méfiants vis-à-vis du collectif.

Mon père appartenait à ce monde-là. Ce clivage me traverse. Je le vois à l’œuvre partout. 

Dans les tensions, les silences, les malentendus.

Elles disent une colère. Mais aussi une immense fatigue.

Un monde qui se vit comme relégué, oublié, coincé entre injonctions contradictoires.

​

 

Les récentes manifestations paysannes de 2024 en sont un révélateur brutal : entre syndicats, entre générations, entre visions du métier. Et pourtant, en y repensant, je réalise que mon père avait lui aussi fait le choix du collectif Il a été toute sa vie engagé dans une fruitière à Comté — une coopérative paysanne comme il en existe depuis longtemps dans le Jura.

Il croyait à la mise en commun des outils, à la solidarité pragmatique.

Il n’en parlait pas beaucoup. Mais cela façonnait profondément sa pratique.

 

JEAN-CHARLES : Cette façon de faire dialoguer les époques et les lieux, vient fissurer nos catégories trop simples. Elle crée un pont entre deux façons d’envisager le commun. Et peut-être est-ce cela que le théâtre peut offrir : un lieu pour faire résonner ces continuités souterraines, ces filiations qu’on ne voyait pas. Le détour n’est pas un contournement. C’est un passage. Une manière d’approcher autrement ce qui ne se dit pas de face. Comme au billard, un jeu à plusieurs bandes, où l’on évite le face-à-face pour faire émerger des angles morts, des ricochets, des résonances inattendues.

La création, c’est choisir un commencement. Une histoire. Un axe. Mais parfois, les débuts se dérobent sous nos pieds. On ne sait pas où commencer. On a trop d’histoires, ou pas encore la bonne. On craint de se tromper. On hésite. On doute.

Mais les commencements, souvent, nous échappent. Ils sont flous, mouvants, fragiles. Ils se dérobent. Et nous voilà à faire du théâtre à partir de ce qu’on n’arrive pas à décider. À partir de ce tiraillement entre l’envie de s’engager, et la peur de mal faire, de trop en dire, ou pas assez.

Et si le spectacle parlait de ça ? De la difficulté à s’engager. Du besoin de collectif et de tout ce qui, en nous, lui résiste. De nos tentatives, de nos reculs, de nos pas de côté.De ce moment fragile où tout peut commencer Tout naît pas fini, ce serait un spectacle sur le début qui tremble, sur le "nous" qui cherche sa forme, sur le réel qu’on tente de rejoindre sans le figer. — ou pas.

Un éléphant dans un
magazin de porcelaine

Le monde rural et agricole comme miroir

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