Hors Champs
Hors champs, c’est d’abord un immeuble, un immeuble à la Perec, un immeuble dont on rechercherait le « mode d’emploi ».
Hors champs, c’est une galerie de personnages touchants, tour à tour militants, largués ou franchement utopistes, confrontée à des logiques économiques et comptables qui s’insinuent jusque dans leurs réalités humaines et sociales.
Hors champs, ce sont ces gens derrière la porte.
Hors champs, c’est l’aboutissement d’une résidence de deux ans sur un quartier de Besançon.
Ce sont des fragments d’humanité recueillis aux cours de rencontres avec les habitants d’un quartier et de soirées passées à essayer de rêver à nouveau, ensemble.
C’est une démarche de création qui prend le temps de s’imprégner de paroles glanées auprès de gens qui n’ont pas l’habitude d’être écoutés.
C’est le refus d’une culture de résultat.
C’est aussi une rencontre avec un auteur : Yves Reynaud, qui a bien voulu confronter son écriture à la démarche d’une compagnie, sa volonté d’interroger la réalité sociale.
C’est le choix d’un théâtre dépouillé, où l’accent est mis sur le sens, la relation avec le spectateur.
C’est l’affirmation que la recherche de nouveaux publics, s’entend ceux qui sont le plus éloignés de la culture, n’est pas une démarche vaine.
Extraits Vidéo
Une démarche
De la réalité d'un quartier
à la fiction
Cette création s’est nourrie d'une réalité de terrain : un projet d'action culturelle que nous avons mené sur un quartier de Besançon pendant deux années.
La première année de cette résidence, nous avons travaillé à partir de témoignages, de documents d’archives sur le thème de la mémoire, ce qui a abouti à un spectacle : le grand déballage qui retrace la mémoire des luttes, les prises de conscience successives dans un quartier ouvrier (le groupe Medvedkine, les grèves de la Rodhia, LIP).
Hors Champs s’est construit au cours de la deuxième année à partir de collecte de témoignages qui portaient sur le présent, l'avenir et les aspirations des habitants. Cette création s’est construite en étroite collaboration avec un auteur : Yves Reynaud.
Les aspirat'heures
Le roman de Georges Perec, « la vie mode d’emploi », dans sa structure de récit a été notre patron, le point de départ de notre travail de création.
Comme chez Perec, nous dressons une série de portraits, d’événements, d’histoires, qui ont tous trait au même immeuble.
La scène est un espace de reconstitution. Une reconstitution faite de fragments de vies, de faits divers, de scènes de la vie quotidienne, de témoignages. Une visite au travers d’un immeuble, un microcosme qui fait écho au monde. Cette prolifération de réalités éclatées, parcellaires, elliptiques, est à l’image de notre monde, de plus en plus ouvert. Un monde fait d’accumulation dans lequel les individus ont du mal à se retrouver.
Tout au long de cette résidence, nous avons mis en place des veillées : les aspirat'heures. Elles nous ont servi à recueillir, aspirer des témoignages, des points de vues, des anecdotes, les aspirations des habitants...
Ces soirées s’articulaient autour de lectures, de chansons, d’esquisses de scènes, qui avaient pour sujet des thèmes variés (le voisinage, le travail, la modernité, la solitude...).
Ces divers matériaux étaient des réactifs, le prélude à des échanges, des déclencheurs de paroles.
Les témoignages recueillis lors de ces soirées venaient à leur tour inspirer, nourrir les rencontres suivantes, donnaient lieu à de nouvelles esquisses.
Ces aspirat'heures ont permis au public d'appréhender, de comprendre le processus de création, le frottement entre réalité et fiction, de s’inscrire dans une démarche artistique.
Le spectacle est né de ces allers retours entre la réalité des témoignages recueillis, la fiction de l’écriture, et la réalité de plateau.
La finalité n’était pas de faire une étude sociologique et objective d’un quartier, ce n’était pas non plus de retransmettre telle quelle la parole des gens. Mais bien de filtrer la réalité, de la reconstruire, la densifier, lui donner une résonance émotionnelle et actuelle.
Un saint patron
Ce spectacle traite de la réalité sociale à la manière d’un conte philosophique. Il met en jeu un monde sans passé à l’image de Madame Sage, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Un monde à l’avenir incertain, au présent piégé. Paul, le fils de Mme Sage voudrait un travail et une femme.
Le travail, il le trouve mais très éloigné de ses aspirations, alors il se réinvente une réalité professionnelle.
Sa mère ne retient plus rien et lui fuit dans un présent fantasmé et sans goût, ils sont tous les deux condamnés à un dialogue de sourds. Un monde de sourds, fait d’incompréhension et de solitude.
Hors Champs, ce pourrait être un road movie, le voyage de deux personnages au travers d’un immeuble et leur rencontre avec les habitants, Mlle Turc, la nouvelle assistante sociale du quartier, et Paul qui , après avoir brillamment réussi des études de biologie, se retrouve VRP stagiaire.
Parfois, la mécanique sociale épouse la mécanique économique, l’une comme l’autre gèrent les stocks, dans la réalité pourtant l’homme subsiste. Dans ce spectacle, ces logiques sociales incarnées par Paul et Mlle Turc se confrontent aux logiques individuelles des habitants.
Dans cet immeuble, plus personne n’est porteur d’idéaux collectifs, à part Jerôme, pour qui tout le malheur des hommes ne vient que d’une seule chose : ne pas savoir demeurer en repos. Les autres n’ont plus que des aspirations individuelles et portatives qui se heurtent aux fonctionnements institutionnels, sociaux, et économiques. Parfois ils bousculent les systèmes pour créer un espace vivable, d’autres fois il sont bousculés ou renversés, alors l’assistante sociale intervient.
Dans ce monde, un seul idéal semble régner sans partage, l’idéal marchand. Plus tu as, plus tu es, plus tu seras honoré prône le formateur des représentants de commerce.
Ce rêve d’avoir ne résiste cependant pas aux coupures de courant.
Marie, suspendue au téléphone, cherche de l’aide auprès de « social tout proche ». Elle n’a pas payé sa facture, elle est seule dans le noir, elle n’a plus les petites lumières de toutes ses machines, son peuple de choses n’est plus là pour la rassurer, il s’est éteint. Elle ne peut plus fuir dans le rêve des choses, elle est seule face à sa peur, face au vide qui prend tout.
Face, lui, renverse les valeurs, avec flegme il les réduit à néant.
« Je suis là pour vous aider à faire fructifier votre portefeuille de compétences» lui dit l’assistante sociale. Dans un monde où l’individu est devenu sa propre entreprise, il faut se prendre en charge, être acteur de sa vie et avoir des rêves à sa hauteur.
Mais Face croit au pouvoir de l’individu, tout n’est qu’une question de motivation, et pour l’instant sa motivation n’est qu’à 20%, alors il attend qu’elle grimpe.
« De toute façon, quand tu cherches quelque chose tu ne trouves pas, c’est pas toi qui trouve la solution c’est la solution qui te trouve ».
Dans cet immeuble miroir du monde où s’accumulent des individus comme autant de paires de chaussettes dépareillées, il y a des rencontres, des moments lumineux. Au cinquième, il y a Marguerite, retraitée et veuve , qui ne rencontre plus personne par peur de déranger, ne sort pas non plus, elle n’a pas les moyens. Alors sa vie c’est Julien Leperce et les enfants qui sortent de l’école, et puis un jour elle entend de la musique, ça vient d’en bas, elle se sent toute flottante et le lendemain elle descend avec ses beignet et c’est comme ça qu’elle rencontre Jérôme.
Il lui lit des bouquins libertaires et elle fait la cuisine, La cuisine c’est meilleur quand c’est partagé.