"Une pièce réussie c’est une pièce où tu ris et où tu pleures, Max réussit le doublé et même parfois c’est comme un arc en ciel t’as à la fois la pluie et le soleil tu pleures et tu ris en même temps, et ça croyez en un homme riche de 50 ans de théâtre, c’est rare, très rare"
Jacques Livchine
Votre spectacle, c'est souvent les autres qui en parlent le mieux.
C’est comme une odyssée,
Un périple de 640km en vélo pour aller enterrer un placenta sur la terre de ses aïeux
Un retour en arrière pour retisser des fils entre l’endroit d’où l’on part et l’endroit où l’on vient
Entre l’agriculture et la culture,
Entre le culte du “cyclisme à la papa” et le théâtre populaire de Firmin Gémier,
Entre le monde du silence et celui de la parole,
C’est le solo d’un équilibriste bringuebalant et fragile en quête de légitimité qui questionne son choix de ne pas avoir “repris” la ferme,
Qui se demande d’où l’on est réellement, si la culture rend heureux ou encore si l’on est plus évolué quand on va “de l’avant”...
Une autofiction
« C’est en poussant le particulier jusqu’au bout qu’on atteint le général
Et par le maximum de subjectivité qu’on touche à l’objectivité »
Michel Leiris
Pour construire ce premier volet, nous sommes partis des textes écrits par Max Bouvard, le comédien du spectacle. Ces textes racontent le grand écart entre sa culture d’origine et sa culture d’aujourd’hui, Max a passé son enfance dans un petit village du Jura où son père était paysan, il est devenu comédien. Ces récits mettent à jour les incompréhensions qui existent entre son monde de départ et son monde d’arrivée, la difficulté qu’il y a à s’approprier et à se sentir légitime dans une culture qui ne lui a pas été transmise.
Ses ancêtres ont vécu entre la petite montagne du Jura et les plaines de l’Ain quelques kilomètres plus bas. Dans sa famille, on se transmet les terres de père en fils, on se passe le témoin avec l'ambition de les faire fructifier, pour que les générations d’après vivent mieux que celles d’avant. Mais voilà, Max a dévalé d’autres pentes, il est devenu comédien, il n’a pas repris la ferme. Il vit maintenant à Roubaix dans une des zones les plus urbanisées de France.
Ce spectacle a pour toile de fond ce grand écart culturel, cette bascule d’un mode de vie à l’autre ; cette difficulté qu’il y a à se rendre compréhensible auprès des siens, à sortir des projections que sa famille avait pour lui. Bon élève, on l’aurait bien vu ingénieur ou médecin, à la limite instituteur, mais comédien…
Max porte les valeurs de beaucoup d’artistes de son entourage ; il s’inscrit dans un groupe que l’on appelle, en sociologie, « les créatifs culturels », une mouvance qui serait à la pointe du changement social, qui porterait haut l’arc en ciel écologique, prônerait une implication solidaire dans la société, un développement personnel et spirituel, une consommation responsable. Natalia, la compagne de Max a accouché à la maison. Il consomme des produits biologiques, met ses enfants dans une école alternative en Belgique où la créativité, le développement de leurs potentialités sont les maîtres mots. Un attirail idéologique qui, par bien des côtés, semble faire des retours en arrière ou, tout au moins, ne plus accepter le progrès comme seule ligne d’horizon.
Son père, de son côté, s’est laissé glisser dans cette société de progrès des années 70, qui lui a apporté un confort de travail. Il a mis des années à rentrer dans cette peau de paysan qui laissait peu de place à autre chose. Comme la majorité des agriculteurs de sa génération, il a déversé des engrais chimiques et du pesticide sur ses champs. « Tu comprends, il fallait bien nourrir la planète, maintenant qu’il y a trop, vous pouvez réfléchir autrement, penser à la qualité ». Pendant presque 20 ans, en tant que maire, il a été la cheville ouvrière de sa commune, et malgré un remembrement à son actif, il a été réélu plusieurs fois.
Au travers de ce spectacle, nous voulons raconter les ruptures et les conflits qui se font jour lorsque, comme Max, on devient une sorte de transfuge. Nous voulons aussi mettre en jeu ce que Piaget appelle les « accommodations », ces processus qui relient des expériences nouvelles à ce qui a été vécu antérieurement, et ce que cela construit en termes d’identité. Nourri à la lumière d’un parcours singulier, « Grand Ecart » raconte une migration intérieure d’un mode d’être vers un autre, et la façon dont notre passé et les souvenirs qui y sont liés se réagencent pour créer notre façon d’être au monde. En cela, il nous interroge tous, dans nos différentes « accommodations », les grands ou les petits écarts que nous faisons pour continuer à avancer.
Mise en scène /Réalisation
Jean-Charles Thomas
Jeu et écriture
Max Bouvard
Prise de vue
Mehmet Arikan
Conception viéo
Lois Drouglazet
Du cinéma au théâtre
Dans notre fiction, Max est un cinéaste forain comme ceux qui existaient au tout début du cinéma. Il sillonne la France à vélo, se pose dans un camping, dans une cour de ferme. À chaque escale, il déploie son petit écran pour projeter son film et dialoguer avec les spectateurs. Venu du théâtre, il a besoin d’éprouver le film dans une relation physique avec le spectateur.
Le film raconte un rêve dans lequel Max part de Roubaix, à vélo, pour aller enterrer le placenta de sa fille dans le Jura, le lieu de sa naissance. C’est une sorte de « cyclo-movie », un retour aux sources. Les images illustrent le rêve, alors que Max, en voix off, interroge son contenu onirique. Cette façon de faire donne un aspect symbolique aux images, permettant aux spectateurs de s’y projeter, et les autorisant de se balader à leur guise dans la psyché de Max. Il y a, à la fois, une trajectoire rectiligne, le voyage à vélo, et une trajectoire sinueuse, constituée des réponses que Max apporte aux différentes images. La vidéo est le lieu d’une songerie dans laquelle le théâtre vient progressivement prendre corps. Le spectacle devient alors une sorte de rêve éveillé, une mystification, du théâtre.
Une pauvreté de moyens
Un comédien, un vidéo projecteur, un écran portable, un fauteuil et une lampe de grand-mère : ce spectacle nous le voulions léger et tout terrain. Comme d’autres avant, nous pensons que la pauvreté peut être une formidable contrainte, le presque rien peut être porteur du presque tout. La pauvreté peut ouvrir des espaces d’évocation plus fortes que n’importe quel décor.
C’est entre ce « presque tout » du cinéma, qui constitue le plus grand artifice que l’homme ait inventé jusqu’à présent, et le « presque rien » du théâtre : le comédien, son corps, sa voix et la force de son récit, que nous avons choisi de placer notre spectacle. Entre un rêve de lumière et le corps à corps du comédien qui, dans son intimité la plus forte, fait résonner quelques grains d’universel.
Un théâtre de la liberté
Au travers de cette forme dépouillée, nous avons cherché à être dans un théâtre de la liberté : liberté de jouer avec la forme cinématographique, mais aussi liberté du conteur. Nous nous sommes amusés avec les conventions propres à chacun de ces médias. Nous avons jonglé avec des temps et des niveaux de réalités jusqu’à nous perdre dans quelques méandres de la mémoire. Nous avons cassé le quatrième mur et l’avons remis en place à notre guise. Nous avons fonctionné à la fois de façon linéaire, mais aussi par analogies, par digressions successives. Nous avons incarné des personnages jusqu’à créer une sorte de schizophrénie. Nous avons généré des mises en abîmes et du trouble.